Deux histoires de ‘téléfon qui son’
31 décembre 1995, en fin d’après-midi. Le téléphone sonne. Un homme avec un fort accent : « Allô ! ‘Señor bouton-ne’ ? – Si. ‘C’est Miguel Najdorf’.
Je crois à une mauvaise blague d’un joueur d’échecs. David Bronstein lui a donné mon numéro de téléphone. Je ne le connais pas vraiment. J’ai assisté comme tant d’autres aux exhibitions de ce monstre sacré dans les salles d’analyse lors de divers championnats du monde, matches des candidats ou tournois de la Coupe du monde dans les années 1980-1990. Ses emportements, ses joies, ses réfutations, sa joie de vivre : que des bons souvenirs.
La conversation se poursuit en anglais. Najdorf veut faire la fête. Plus exactement aller au Moulin Rouge. L’a l’air super motivé l’papy. Il est avec des amis et veut ensuite aller guincher dans Paris. Évidemment avec de jolies femmes, me précise-t-il. Mon refus poli sera à mettre au rayon des okaz ratées dont on parle pendant des heures. J’étais déjà invité. Ce soir-là, j’ai été poli, mais pas joli. Car ma fête à moi était nulle : j’ai pensé toute la soirée au sourire de Najdorf devant les p’tites femmes de Paris. Heureusement, j’ai retrouvé ce sourire à Elista lors de l’olympiade de Erevan. Dans les conversations et dans ses blitz avec Leko. Ce sera sa dernière olympiade. Najdorf décèdera en juillet 1997 à 87 ans.
Photo : Le Che et Najdorf, lors du Memorial Capablanca à La Havane, en 1962.
© ChessBase, voir aussi l’article (en allemand) de ChessBase, Kuba, Schach, Che.
Avril 2000
Raymond Keene, grand maître anglais, organisateur, chroniqueur au Times de Londres, auteur etc. m’appelle. De nulle part également. Cela doit faire environ dix ans qu’on ne s’est vu ou parlé. Il veut que je lui réserve des places pour 4 au restaurant de la Tour Eiffel ainsi que 4 places pour aller voir une pièce à l’Opéra de Paris. « Si tu peux avancer l’argent, je t’invite même à dîner avec ton amie si tu veux, et je te rembourse immédiatement. » Pas de chance Ray-mouunde comme disent les Anglais. J’ai de la mémoire. Tous mes potes MI ou GMI me l’ont dit et répété : ne jamais faire d’affaires ou prêter de l’argent à Keene. Paraît qu’on ne le revoit jamais. Donc, j’ai fait comme sur les blogs ou les sites. J’ai envoyé tous les liens au GM. Tous prenaient la carte bleue. Et Keene n’est jamais venu à Paris.
Appel de D’jack, mon coéquipier des Échecs de Vincennes. D’jack Elbilia, comme vous ne l’aurez pas deviné. Bref commentaire sur la note sur Najdorf du jour. D’jack joue pour le Maroc et part samedi 20 pour les olympiades de Turin. Moi : « N’importe qui ayant croisé Najdorf un jour peut raconter mille anecdotes à son sujet. » Et D’jack m’en débite deux ‘a tempo’ que je ne peux résister de vous communiquer.
1) Olympiade de Erevan, 1996. Les photographes n’ont que cinq minutes pour œuvrer. C’est le grand retour de Kasparov en équipe nationale, et la Russie joue la Bulgarie. Match au sommet : la partie Topalov-Kasparov illuminée par des flashes crépitants. Najdorf fait du barouf, essaie de se frayer – sans succès – un chemin. Il finit par demander aux mieux placés que lui, très inquiet : « C’est quoi, c’est quoi, l’ouverture ? » – Une Najdorf, lui répond-on. Et Najdorf de repartir, rempli de joie. Épilogue : Kasparov gagna la partie en 63 coups.
2) Match Argentine-France. La dernière partie à être jouée est Ricardi-Apicella. Ricardi se lève quelques instants pour se détendre. La partie est stratégique et ça a gigoté dans tous les sens. Najdorf ne se démonte pas : il vient s’installer à la place de Ricardi pour réfléchir à la position ! Ricardi revient. Il ne pipe mot. Il n’ose rien dire face à la légende vivante des échecs. Najdorf finit par se lever. Il a sûrement deviné que cette partie serait nulle. La paix fut conclue au 56e coup.
3) Rapportée par Elbilia qui la tient de Renet. Renet joue un tournoi à Buenos Aires. Najdorf vient le chercher à l’aéroport. Déjà âgé, il roule pourtant comme un malade. Il se fait arrêter par la police. Baisse la vitre. L’agent de dire : « Excusez-moi M. Najdorf ! »