Dorfman champion de France… des nulles !
En réalisant le score fabuleux de 11 nulles sur 11 parties, Iossif Dorfman est devenu le champion de France 2006 à Besançon.
Le champion des parties nulles, cela va sans dire. Très vite, nous sommes allés chez l’ex-secondant de Kasparov. Il nous reçoit en nous offrant du thé dans un mug sur lequel est inscrit: ‘Je propose nulle’. J’accepte le thé russe. Un coup d’œil rapide avant de s’apercevoir que les murs sont tapissés de «Je propose nulle» écrits dans toutes les langues. C’est donc bien lui. L’interview peut débuter. Le grand-maître nous livre ses projets et ses secrets. De l’inédit. Sans rire… et de manière imaginaire, bien sûr !
Q.: Iossif, bravo pour…
Iossif Dorfman: Maître Dorfman s’il vous plaît.
Q.: Bon, on peut se tutoyer si vous voulez. On coupe la poire en deux et je vous appelle I.D., ça va?
I.D.: Je propose nulle!
Q.: Ah non! pas déjà… Comment vous sentez-vous après cet exploit? Franchement, vous les avez tous massacrés: 11 nulles sur 11, c’est du déjà vu, mais là, quelle classe!
I.D.: C’est une méthode que j’ai mise au point il y a longtemps. ‘Je propose nulle’ – excusez-moi je suis enrhumé en ce moment et j’éternue par cette phrase – même mes élèves comme Bacrot, Fontaine s’y sont mis. Il sort son sifflet : «Étienne, Étienne !» Ah !, excusez-moi, j’ai un moment d’absence, il est parti jouer en Allemagne. Ce garçon a craqué, il joue maintenant pour le gain. Pfff…
Q.: Mais quel est le secret de votre méthode?
I.D.: D’abord, cette fois, je n’écrirai pas de livre. Je jouerai, simplement: 5, 10, 15, 22 coups au pire. Et nulle. Pendant le championnat par exemple, j’ai fait de la télépathie. J’ai demandé ‘Je propose nulle’ – ah ! décidément ce rhume est pénible – aux jeunes d’arrêter le poker un soir et de m’aider à tourner les tables; mes meilleurs amis du National s’y sont soumis: Lautier, Nataf… J’ai ainsi essayé de joindre Schlechter et Janovski dans l’au-delà. On est tombé sur le répondeur de Tartacover. Incroyable, il s’est modernisé! Son message disait qu’il était parti jouer à la roulette au casino de Baden-Baden.
Joël a tellement été impressionné qu’il m’a même reparlé. Il a arrêté le poker deux nuits de suite (paraît que Fressinet lui en voulait) et m’a promis d’en parler dans sa chronique dans Le Monde. Pour une fois, il ne parlera pas de lui. Ah! ah! ah! ah! vous voyez comme faire des nulles me rajeunit: je rigole maintenant, pas comme sur ce croquis d’Eric Petit!
Q.: Soyez sérieux et gentil, maître Dorfman, vous avez encore des fans. Revenons sur votre parcours dans le tournoi. Comment gagne-t-on un championnat de France avec toutes ces nulles magnifiques?
I.D.: D’abord, j’avais un objectif. C’est ça un professionnel.
Le président de la FFE, J.-C Moingt, m’avait promis avant le tournoi, si je gagnais le championnat des nulles, un poste d’ambassadeur plénipotentiaire pour vulgariser ma nouvelle méthode. Elle porterait mon nom, Dorfman-Nitchia Chess, Dorfman-Draw Chess, Dorfman-Nulle-Chaise, j’avais le choix. Ensuite, je récupérais quelques trucs d’organisation de Kouatly laissés par la FFE, mais seulement pour mes stages de parties nulles en moins de 13 coups. Un plan diabolique.
Q.: Donc votre plan avec le chiffre 13 a super marché?
I.D. Oui. Jicé m’avait dit que si je marchais dans des nulles de 13 coups, ça portait bonheur. J’ai pas saisi sur le coup, mais Nataf a éclaté de rire quand je lui ai dévoilé le plan. Et d’ailleurs, j’ai terminé en trombe comme prévu avec 3 nulles en 13 coups contre respectivement Tkachiev, Lautier et Nataf.
Je les ai ma-ssa-crés. Vous avez vu les parties? Superbes! J’ai eu une fringale à la 4e et 5e ronde: Libi (39 coups) a voulu gagner comme un enfant et Vaïsser (48) a voulu montrer qu’il était encore jeune. Heureusement, je m’étais gavé de sucres lents et tout s’est bien passé. À la 8e, Bauer a fait son malin: il s’est déroqué tout seul, a joué 33 coups. Il se prend pour Jésus-Christ ou quoi? Tous les autres, je les ai pulvérisés en une vingtaine de coups ou moins. Le plus horrible, ça a été Vachier-Lagrave en 14 coups à la 1re ronde: de la bou-che-rie !
Q.: Effectivement, c’est impressionnant. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette méthode des sucres lents? Et d’abord un petit cadeau, grand-maître: j’ai conservé des matches des Candidats d’Abano Terme en 1980 une collection de pâtes.
I.D.: Mais c’est génial! Merci boutonne! Tiens, mais ça me donne une idée pour vulgariser une ouverture sous-estimée: La Ponziani. Et je la relancerai avec le slogan: «Des pâtes, des pâtes, oui, mais des Ponziani!»
Q : Grand-maître, cela n’est vraiment pas drôle… quel est le secret…
(Dorfman se met à siffler et lance en hauteur derrière lui tout en me fixant un demi-morceau de sucre de canne. Son caniche, «Nitchia» [ce qui veut dire ‘nulle’ en russe] l’attrape au vol en faisant un double axel).
I.D.: Vous voyez? C’est ça les sucres lents QUAND ON EST JEUNE. C’est comme ça que j’ai dressé Fontaine, Bacrot et Relange. Étienne était indiscutablement le plus doué: après le triple axel, il retombait en équilibre la tête en bas sur son index en disant : «J’adoube». Bluffant! Même pas «je propose nulle», vous vous rendez compte? C’est d’ailleurs cette technique qui a totalement déconcerté Smyslov quand j’ai préparé Étienne dans leur match, mais ceci est une autre histoire.
Après, quand on prend de l’âge, on doit se mettre aux pâtes. Mais depuis quelques années, j’ai laissé to
mber cette technique. Les Français sont indisciplinés, les jeunes mettaient du Ketchup et d’autres sauces dedans et ça se terminait à coups de bataille de pâtes dans les dortoirs… Pouah…
Je reviens au sucre de canne. J’ai un IMMENSE projet avec la mairie… de Cannes, très intéressée au niveau marketing, en raison de l’homonymie. Séguéla ne comprend rien aux échecs mais trouve paraît-il mon idée géniale. Damir Levacic a réservé la Croisette pour une immense simultanée l’an prochain: je devrais affronter 300 écoliers assoiffés de victoire et les abattre un à un avec des nulles de moins de 15 coups.
Ensuite, ils verront que je suis un homme d’affaires. Je vais tout décliner. Mon livre, Les sucres lents pour les Nuls sera préfacé par mes élèves caniches les plus doués et tous ceux que j’ai battus en faisant nulle en moins de 10 coups. Et croyez-moi, ce sont des privilégiés. Un DVD avec une sélection de mes meilleurs nulles en moins de 8 coups est prévu pour octobre 2006. Le bonus contiendra mes championnats de France, ceux où j’ai fait le plus de nulles, c’est-à-dire pratiquement l’intégrale sauf, bien sûr, l’année-cauchemar où je suis devenu ce que la FFE appelle ‘champion de France’. Ensuite, je ferai sûrement de la politique. La FFE doit interdire tout autre résultat que la nulle.
Q.: Mais grand-maître, je ne comprends pas. Vous avez bossé avec Petrossian, vous avez été l’entraîneur de Kasparov, vous avez un temps préparé Topalov et ces deux derniers cherch(ai)ent le gain à chaque demi-coup. Comment un si grand pédagogue que vous…
I.D.: Taisez-vous Boutonne! Le jeu classique est dé-pa-ssé: Kasparov fait de la politique, Kramnik joue contre un ordinateur, Judit fait des enfants, Ivantchouk a disparu et relit les œuvres de Pouchkine et les autres jouent au ‘Fischer Random Chess’. Seul Topalov passe des heures à s’entraîner. C’est la crise, mon vieux, mais le Dorfman-Nitchia Chess vaincra (son caniche ‘Nitchia’ reconnaît son nom et aboie à ce moment-là), n’en déplaise à Léo Battesti et à Silvio, le manager de Topalov qui lui a piqué son idée stupide d’éviter les nulles. Ah, le traître! Il me rappelle ces joueurs français qui voulaient me gagner, moi, au tarot, à mon arrivée en France. Ils m’ont pris plein d’argent jusqu’au moment où j’ai compris qu’au tarot, on ne peut pas faire nulle. Ah, ils m’ont bien roulé au début! Mais maintenant avec le Dorfman Nitchia Chess, c’est à mon tour et vous verrez, ils vont tous pleurer! Bon, allez, je vous ai suffisamment malmené, Boutonne.
Vous voulez boire quelque chose ?
Q: Oh, allez, d’habitude jamais pendant le travail, mais pour cette fois…
I.D.: Bon, alors, je vous propose un coup de nioulle?
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Bien vu Christophe !
Je vois que tu n’as pas perdu l’habitude d’epingler les nulles (rapides).
je me souviens avoir joue Bagneux 1998 (tournoi ferme III) et offert nulle a la derniere ronde dans une Dragon theorique contre le vainquer et realisateur d’une norme de MI ( jai oublie son nom) .
J’avais ete egratigne ensuite dans le compte rendu d’EE, a juste titre d’ailleurs.
Mais pour Dorfie, cest vrai que de ne pas essayer de gagner contre les MIs, ca craint. Meme Spassky a montre plus de hargne contre Fischer en 1992. Et Romanichine a produit recemment une belle nouveaute contre Meier en Bundesliga, et fait partie de la meme generation sovietique.
C’est vrai que le reel talent de Dorfie est dans sa comprehension des echecs, donc dans ses stages. Et aussi, je suis un peu surpris du petit nombre de GMS qui ont tente qqchose contre lui, mais ca cest aussi presente dans l’interview imaginaire, qui oublie de preciser que depuis son succes Dorfman a achete un caniche Remis pour feter ca !
Bref, voyons ce que Topi est en traind de preparer contre Kramnik.
Ca devrait etre plus tranchant que Leko-Kramnik ’04.
Sharif avait fait pire en son temps (15 nulles il me semble) cependant, cela valait le coup d’égratigner Dorfman pour l’occasion même si je trouve tes interviews précédentes plus humoristiques
Enfin, continue :o)
Là je dis bravo,
Excellent message humoristique, c’est totalement irrésistible !
bravo Christophe,
pour ton talent
pour ton humour
et pour le problème de fond que tu soulignes, à ta façon, mais à juste titre !
Amités
Léo
Il me semble que Dorfman n’est pas le premier à réaliser cet exploit. Sharif avait, semble-t-il accompli la même prouesse lors d’un précédent National.