Légion d’honneur: Laure Adler, Arrabal et Iosséliani
La journée avait mal commencé. Une insomnie, des mains se dirigent on ne sait pourquoi vers The Sorcerer’s Apprentice (L’Apprenti sorcier), le recueil de parties de Bronstein. Il faut éteindre. Non, le choix, se porte finalement sur la version française. Excellente, sauf cette couverture représentant Bronstein. Consolation: c’est tout de même une peinture du Belge Sammy Rubinstein, le fils du grand joueur Akiba. Les prochaines heures allaient être rudes: deux réunions rasoir avec, heureusement, le clou de la soirée à la Fondation Cartier pour l’art contemporain: Jack Lang allait remettre la légion d’honneur à Laure Adler, Fernando Arrabal et Ottar Iosséliani. Au début, on croit à une blague: L’invitation par courriel provient d’Arrabal. Il faut confirmer à <j.lang@xxxxxx.fr> et l’heure de convocation est comique: 18 h 29, le 29 novembre 2006. Quoi? Le trublion Arrabal acceptant cette distinction créée par Napoléon, lequel affirmait qu’une nation « avait besoin de hochets » ? Surprise d’autant que la nomination de Laure Adler, (directrice de France Culture à l’époque) et d’Arrabal remonte au 14 juillet 2005. En téléphonant au numéro indiqué, et bien, finalement, c’est du sérieux.
Au jour J et à l’heure H + 20min, les invités se pressent. Les femmes sont toilettées. Djack est impeccable: blazer bleu, chemise rose avec cravate noire. Son teint buriné capte la lumière des caméras. Son cou se tend de façon inimitable vers son interlocuteur. La salle est pleine. Beaucoup de PTI (personnes très importantes) : Michel Piccoli est en retrait, tout discret, Pierre Bergé virevolte, Jean-Marie Colombani, le directeur du Monde scrute (pas une ligne sur cette remise dans le journal du surlendemain), Michel Houellebecq rase les murs, baissant la tête comme marchait feu Pacadis, Agnès Varda est entourée et d’autres comme Viviane Forrester, Pierre-André Boutang, le directeur du CNC etc. attendent le début de la cérémonie.
Le silence se fait. Djack attaque. Il chausse ses lunettes, cisèle ses phrases. Il a toujours son truc épatant des trois adjectifs avec inflexion crescendo, mais dans la sobriété ici. Pas plus de 7 min pour chacun. Une fois la médaille remise, l’émotion prévaut. Iosséliani raconte comment le ministre Lang l’a aidé quand, du fond de sa Géorgie, on l’empêchait de tourner. Bémol, ajoute-t-il : « Monsieur le président de la République Jacques Chirac a remis ‘à titre personnel’ la légion d’honneur à un certain monsieur Poutine, kagébiste bien connu. » Les anges passent. Les applaudissements suivent.
Arrive Arrabal. Il a prévu « trois heures de discours, mais n’en fera qu’une ». Cet éternel farceur de 74 ans parlera finalement une dizaine de minutes. Il pétille autant que la première fois où l’on s’est croisé, en 1983, à Linares. Lui et l’organisateur Rentero étaient du pain béni pour la presse espagnole! Il mentionne le jeu d’échecs, cite des jeunes champions que personne, dans la salle, en dehors de lui et moi ne connaît, me prend à témoin. Oops! Regards convergents… Son allocution passe enfin en revue tous les géants de la culture qui l’ont façonné (voir son site). Sa carrière est longue, il joue à saute-mouton avec les années. Il conclut par un « viva la muerte, viva la suerte » chaudement applaudi.
Laure Adler est gênée, émouvante dans son discours si direct et personnel. Elle n’a connu la métropole qu’à partir de l’âge de dix-sept ans, parle de l’Afrique qui l’a construite et des livres qui l’ont sauvée. Djack et Laure Adler entament un dialogue impromptu sur leurs années Mitterrand. Y compris les dernières années du chef de l’État auquel tous deux vouent une admiration. Mais que la fête commence. Jack Lang donne le top départ du champagne, du vin, des asperges chaudes et autres régalades. Les mondanités vont débuter.
– « Et vous, vous faites quoi ? » Non, ce n’est pas un chroniqueur mondain qui pose cette question. Mais un designer yougoslave dont la femme joue un peu aux échecs. D’autres en feront de même, manifestement des habitués. Le tourbillon autour des tables de cocktail commence. Paris est magnifique de la terrasse, au huitième étage. Djack est très entouré. Détendu. Sollicité, évidemment. Arrabal est au top de sa forme, sous les flashes également. Il raconte beaucoup d’anecdotes: le coût de sa médaille ; Spassky, pressenti pour la légion d’honneur, qui la refusa puis se rétracta – mais trop tard – quelques années plus tard. Sa visite de kibbitz en 1973 dans un championnat d’URSS grâce à une ancienne correspondante de l’AFP lui ayant obtenu une place.
Les derniers invités s’éparpillent. Beaucoup attendent le ballet de taxis. Mais nous ne sommes pas à Hollywood. Au rez-de-chaussée, Agnès Varda attend, prise dans une conversation. Elle regarde d’un œil distrait la création de Gary Hill avec un vautour effrayant. Rideau.
Commentaires récents