Vétérans : il n’y a que Weill qui vaille ?
Roland Weill est devenu champion de France des Vétérans à Pau. Il remporte le tournoi avec 10 sur 11, invaincu. Après une nulle lâchée contre le pugnace et toujours présent Hoyer (qui fit nulle contre Giffard) et une autre au début contre Zurano (1830), le tournoi s’est joué avec Giffard dans une partie toujours plus ou moins égale (partie 51 à regarder sur le site de la FFE) où le champion de France 1978 et 1982 n’a pas vu une combine et a perdu une pièce. Pour Nicolas, c’était une grande première. Roland Weill n’en était pas à son premier essai. Battu en 2002 par Hoyer, l’insubmersible Vaisman rafle le titre. La victoire à Pau est donc méritée pour ce jeune vétéran de 66 ans qui a débuté dans les tournois il y a plus de 40 ans et reste le 525e joueur français actif avec ses 2170 Elo selon le site de la FIDE.
Quand on voit Roland Weill dans un tournoi, on rajeunit. Il a toujours été là. Ensuite, il ne parle pas, il chante. Enfin, son accent. De plus, si vous avez la chance qu’il réponde à l’une de vos sorties, les siennes sont encore plus déroutantes, elles vous mettent « pat ».
Mais parler de cet amateur éclairé, éclairé amateur, professeur de mathématiques légèrement barbu serait injuste sans mentionner son frère Serge, professeur d’éducation physique et sportive, moustachu, et qui anime une véritable usine à diffuser le jeu. Pas dans le Sud, mais dans le Nooord, à Lille.
Pour la suite de l’enquête à propos de Weill R. et Weill S., cliquer ligne suivante. Je dirais même plus : ligne suivante.
Photo: LUC-EDN
Un titre. Une superbe photo noir et blanc. La relecture du bulletin du championnat de France de Dijon 1975 gagné avec 11/11 par Todorcevic – bulletin édité par Francis Meinsohn –, Roland Weill jouait le National… tout comme Ferry (aujourd’hui dans l’open A). Dussol, présent dans le Vétéran 2012, avait remporté l’open ; Serge Weill devait jouer aussi à Dijon, mais le classement n’était pas exhaustif dans ce bulletin agrafé.
L’idée de parler un peu de ce tout jeune champion de France vétéran est venue en consultant la liste des participants : Dussol, Giffard, Roland Weill dans le Vétérans… et toujours Ferry dans l’open A.
Voyons voir… Vroum ordi… BigBase de ChessBase… occurrences Ferry-Weill et « lycée de Versailles ». Oops ! Leur première rencontre date de Grenoble 1966 au National du championnat de France. Le jeune Weill n’est pas impressionné par les manœuvres d’attente du rusé Ferry. Il finit par gaffer après avoir dominé. Ferry, Weill, Giffard, Dussol, il n’y a plus de concordance des temps au royaume des échecs… J’abandonne.
Deux frangins pour un virus
Roland Weill ? Tout le monde le connaît dans tous les tournois du Sud. Mais qui est cet amateur de bons mots qui vous déstabilise d’entrée « de jeu » dans la conversation, qui est cet amateur des 64 cases tout court ? Il n’a jamais voulu forcer son talent pour rouler les maîtres dans la farine. Et pourtant, le virus l’a pris jeune. Jeune pour la France de la fin des années 1950, tard, si tard pour les échecs.
Son frère Serge raconte : « En fait, nous avons plus d’un an d’écart (20 mois et 17 jours, ‘tradition familiale oblige’ – gag de famille) et nous avons appris très tard, vers les 14 ans, par une étudiante amie de la famille. Nos parents ne savaient pas jouer. »
Oui, en 1959-1960, les échecs n’étaient pas grand-chose dans les clubs et encore moins pour les jeunes. Mais les deux frères étaient dans une ville de prédilection : Montpellier, à prononcer « mon’m’-pé-lié » pour ceux qui, d’origine, ont l’accent ‘pointu’.
Serge, aussi fougueux que son frère est relativement taiseux mais observateur, poursuit : « Les premières compétitions eurent lieu au club de Montpellier. Montpellier-Échecs était guidé par Camille Canonge, une figure des échecs (et pas seulement des échecs) montpelliérains. Notre premier tournoi fut joué à Bordeaux en 1964 (et organisé par Europe Échecs) après de vains essais pour participer au tournoi de Noël du cercle Caïssa à Paris : nos lettres de demandes d’inscription restèrent lettre morte. »
Ah ! C’était donc cela. N’étant pas incollable dans les différentes déclinaisons mélodiques des accents du sud, j’avais quand mis une petite pièce sur Sète dans le courriel à Serge, pariant sur un accent à la Brassens. Mais Serge, le prof d’EPS m’a donné une petite leçon de géo : « Nous sommes tous deux nés à Montpellier et avons gardé l’accent du crû. Pour la proximité avec Brassens, il n’y a que 25 km. » Merci Sacha comme on dit en Sibérie.
Heureusement, la question avait été posée sous forme de boutade : « On dirait le sud / Nino Ferrer ». Mais retour pleine ligne, des deux frères jouant en double pour l’occasion :
Serge : « Quant à Nino Ferrer, son sud me plaît, je veux bien jouer aux échecs un million d’années. »
Roland : « Et toujours en été, bien sûr ! »
De 1969 à 1972 les frères écument les tournois en France et dans les pays voisins. « Seul Roland a persévéré, Serge s’est consacré à d’autres activités jusqu’à sa prise de fonction présidentielle au club du Lille EDN (maintenant LUC-EDN) en 2004 » témoigne Serge dans un style à la troisième personne. Mais ce n’est pas du chiqué. Serge est un type vrai. Il est encore plus impressionnant dans une AG fédérale. Son habitude des réunions et d’une vie « ailleurs » surprennent un bureau fédéral cadenassé mais si friand de prises de parole démocratiques…
Roland auf deutsch
Un prof de maths qui sait parler allemand. Qui joue des systèmes béton où il se fait manifestement plus plaisir que de jouer les coups demandés par la position. Prêt à vous écouter en vous perçant du regard. Mais que pense-t-il au fait ? Capacité de concentration impressionnante.
Son palmarès ? Des « sélections » comme pour des matches France-Espagne. A 22 ans… en 1968, il dispute les championnats du monde par équipe des moins de 27 ans à Ybbs (Autriche) et les Olympiades étudiantes à Dresde en 1969 (meilleur 4e échiquier) et à Vienne l’année suivante où il était capitaine « en raison de la faiblesse des autres échiquiers dans le dialecte de Goethe » dixit Serge. Et une omniprésence dans les tournois du Sud et dans le National pendant de nombreuses années.
Et toujours en été…
Il se fait tard. Pourquoi avoir parlé si peu de technique sur un titre pas si facile à obtenir ? Roland Weill fait partie d’une génération où vivre du jeu d’échecs en France était chose impossible. Aujourd’hui, on peut choisir d’en survivre. Il a donc construit sa vie ailleurs, a ménagé une grosse place pour les échecs et s’est engagé dans l’enseignement avec cette passion des 64 cases toujours présente, une prédilection pour les tournois dans le Sud et un maximum de participations au championnat de France. Et ce tournoi organisé par la fédération, c’est toujours en été.
Album de Dijon 1975, prendre ascenseur des albums, colonne de gauche de ce blog.
Bel hommage, à quoi l’on peut ajouter la prose exquise de Roland Weill dans l’EE des années 80. Le style de Joseph Delteil n’était pas loin. Merci Roland! A quand un livre?