Mille victoires, une défaite…
Vous avez joué mille parties avec un bon copain. Il vous en gagné une seule. C’est sa Madeleine de Proust et il vous la signalera comme un vieux souvenir entre potes.
Il y a trois ans, le nom de l’un de ces amis a surgi dans mon esprit : le Mulhousien Jean Freudenreich. Pourquoi son nom m’est revenu comme un flash ? Mystère. Nous nous sommes connus en 1973 à Bagnères-de-Luchon. Il y subissait une cure. Nous partagions le même hôtel, La Petite Auberge. Nous avions 12 et 13 ans et nous sommes retrouvés dans cette ville-étape du Tour de France trois années de suite.
Nous avons joué des dizaines de parties. Venant d’un village proche de Brie-Comte-Robert (qui devait devenir plus tard célèbre grâce au Collaro Show), j’entendais pour la première l’accent alsacien. Parfois, je jouais à l’aveugle en le reprenant sur la notation. Il en a gagné une seule… et s’en souvient encore !
Après une recherche sur FaceBook, ce Mulhousien pur sucre a été localisé… à Mexico ! Quelques échanges sur Skype il y a trois ans : le gars n’avait pas perdu son regard espiègle d’après les photos et croquait la vie et les blagues avec autant d’appétit. Et son accent alsacien est tout aussi fort !
Bien qu’il n’ait jamais étudié le jeu d’échecs, il a toujours pratiqué en super amateur avec Pierre, Paul, Jacques. Et puis ce message tombe sur mon répondeur le 14/12 à 15h28 : « Salut Christophe, c’est Jean… heu… Jean Freudenreich. Ça fait quarante ans qu’on s’est pas vu ni parlé… je suis arrivé à Paris tout à l’heure, je repars mercredi midi… donc juste pour te dire bonjour et si on a l’occasion de se voir, demain après-midi quelque chose comme ça… donc rappelle moi si tu peux. »
Quarante ans après, le rendez-vous se joue sur ses terres, au Père Tranquille, en plein centre de Paris. Sans échiquier, deux quinquagénaires ont parlé, laissant les pré-ado au rayon souvenir. Le jeu d’échecs a toutefois pas mal dominé les débats.
La prochaine fois ? Ce sera mon tour d’aller à Mexico pour assister à la gigantesque séance de parties simultanées sur la place centrale El Zócalo. Bon, en principe, on devrait se revoir avant les quarante prochaines années…
Autres variantes, en moins agréable.
Étudiant en 1985, j’ai voulu faire le kéké devant trois camarades avec lesquels nous fondions un journal. L’un est devenu écrivain, l’autre critique reconnu de vins et le troisième se destinait à l’audiovisuel. Oui, je pouvais battre ce dernier à l’aveugle, il ne connaissait rien aux ouvertures. Tout allait bien, mais ses sorties incongrues de dame m’ont rendu fou, et j’ai laissé une pièce puis la partie. Il n’y eu bien sûr jamais de revanche contre le Niçois Eddy C. devenu depuis producteur. Et chaque fois que l’on se croise, y compris lors de rares avant-premières, il me la ressort publiquement avec le sourire de circonstance…
Dernier phénomène du genre, plus proche de « l’empreinte » à la Konrad Lorenz : votre seule victoire contre un futur jeune champion. Tous ceux qui ont battu Joël Lautier quand il avait moins de douze ans peuvent se souvenir comment il prenait mal la défaite. Le vainqueur savait, de son côté, que ce serait sa dernière chance car le jeune irait là-haut, très haut, dans le monde du classement Elo. Et le champion, lui, n’a jamais oublié, le nom, l’ouverture, le lieu, la partie et les circonstances de cette défaite.
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