4 super champions en 33 ans: y a-t-il un génie français?
Marc’Andria Maurizzi est devenu à l’occasion du tournoi de Chartres, le plus jeune grand maître français à l’âge de 14 ans et 2 mois. Il bat de deux mois le record détenu depuis 1997 par Étienne Bacrot. Après Vachier-Lagrave et Lautier, c’est le quatrième grand maître le plus précoce que la France a ‘produit’… en 33 ans !
Bravo à lui… et à Iossif Dorfman, ancien entraîneur de Kasparov qui a également modelé… le jeune Étienne Bacrot, à Cornette et tous les autres qui lui ont fait gagner du temps. Il bat le record d’Étienne Bacrot, plus jeune GMI français à 14 ans et 4 mois, record obtenu en 1997 ! Ce record avait généré moult articles dans la presse, dans la presse radio télévisée et avait débouché entre autres sur une chronique hebdomadaire dans Paris Match.
La remontada de Chartres
Sans les restrictions covid, Marc’Andria aurait probablement battu le record avant d’autant qu’il avait loupé une dernière norme dans un récent tournoi en Espagne.
Ce tournoi fermé historique à 10 joueurs, organisé au pied levé par le C’ Chartres Échecs en remplacement d’un Top 12 et d’un championnat de France partis planter leurs choux ailleurs partait pourtant bien mal : 1 point sur 3 pour le jeune Corse puis une remontada époustouflante avec 5,5 sur 6.
Mais d’où sort ce jeune champion ? Réponse : de la base large d’une pyramide du jeu enseigné à l’école. C’est très rare. Il y a déjà à peine 1 % des jeunes sensibilisés aux échecs à l’école qui franchissent la porte d’un club. Mais celui-là avait des qualités exceptionnelles. Son premier enseignant le flaire et bassine les parents pour qu’il fréquente le club de Bastia. Sa pugnacité et son intérêt pour la magie des 64 cases a fait le reste.
Quand on voit Maurizzi pour la première fois au Grand Chess Tour Paris 2019, il a 12 ans. Il rigole avec ses copains, il est un peu rondouillard et bonhomme. Papa l’attend en donnant un cours de bridge à partir de sa tablette, maman discute avec des mères de joueurs. Il est déjà MI, c’est déjà une étape en passant.
Deux ans plus tard, il est devenu un jeune homme accrocheur, totalement transformé physiquement et techniquement par un Dorfman méthodique et rigoureux. Bacrot-Dorfman, Maurizzi-Dorfman : la formule magique avec deux records français issus de la discipline soviétique et une patte : celle d’un Dorfman qui se remet en question, qui cherche et a vu tant de défauts à corriger qu’il sort tempo le bon antidote.
Y a-il un génie français aux échecs ? (téléchargez le tableau Excel ici)
Oui mais quatre spécimens en 33 ans, c’est peu. Le génie sort de sa bouteille et apporte au bon moment la passion à la bonne personne ? Peut-on parler d’un « génie français échiquéen » au sens artistique quand les bons cerveaux rencontrent les bonnes personnes plus tard ?
Faisons les comptes : Ils sont quatre, dans l’ordre Lautier, Bacrot, Vachier-Lagrave, Maurizzi. Quatre en trente-trois ans. Où sont les méthodes de détection ? Pourquoi tant d’autres talents sont partis « dans le civil » ?
A dix-onze ans, Joël Lautier savait ce qu’il voulait et ne s’en laissait pas compter. Il avait son caractère _ sans ChessBase au début _ et un rêve : devenir champion du monde. A douze ans, il lisait le Herald Tribune. Cette approche décomplexée lui a permis plus tard, en travaillant comme un forcené, de garder un score positif sur Kasparov au faîte de sa gloire !
Étienne Bacrot a pris un abonnement pour remporter le championnat de France, a toujours été monstrueux en équipe de France pour ne jamais perdre et peut toujours briller après plus de trente ans de carrière.
Vachier-Lagrave a gardé de son enfance le style de Joe l’attaque et comme disait Fischer de 1.e4 : ‘The best, by test’. On trouve moult parties spectaculaires contre les meilleurs du monde y compris Carlsen. Il a éclaté dans le top 10 puis top 5 mondial le plus concurrentiel probablement aussi car les tournois, toutes cadences confondues, sont très très nombreux.
Et Maurizzi ? Le jeu d’échecs est une discipline d’accumulation : il prendra le meilleur de ce qui s’est fait et de ce qui se fait actuellement : méthodes d’entraînement, regarder les blitz effrénés de Carlsen sur le net, bénéficier de tournois… et travailler par lui-même maintenant que papa Dorfman lui a donné de nombreuses clés.
Pour tout amateur, cela peut sembler invraisemblable, mais c’est là que les choses sérieuses commencent. Il faut que le jeune Corse repéré à l’école se mette sérieusement au travail s’il veut grimper les marches Elo jusqu’à 2700.
Maurizzi, Bacrot, Vachier-Lagrave, Lautier, le génie français ?
A quel âge ont-ils fait leur dernière norme de GMI/MI? Quand ont-ils appris à jouer et ont franchi la porte d’un club? Quels ont été leurs entraîneurs décisifs?
De Lautier à Maurizzi en passant par le premier GMI Kouatly et le second Renet, le premier MI André Muffang nommé par la FIDE en 1950 et le premier MI sur l’échiquier Aldo Haïk et le second Nicolas Giffard, une période de 120 ans couvre le ‘génie français’ des 64 cases.
Mais pour tous ceux qui sont montés au sommet, combien d’immenses talents ont passé ‘leur bac d’abord’ et ont abandonné ensuite?
C’est incroyable que l’on parle encore de mon grand-père André Muffang… Je suis l’une des filles de son deuxième enfant, Madeleine, et c’est assez émouvant de penser qu’il figure encore dans les archives des maîtres aux échecs…
Merci Chantal. Je publierai prochainement l’interview de M. Muffang que j’avais réalisée en 1988, peu de temps avant son décès et qui avait été publiée dans L’Almanach des échecs 1988 ((Payot) ainsi que les circonstances dans lesquelles j’avais eu la chance de le rencontrer.
Ch. Bouton