Boris Spassky est mort

Le monde est échecs est en deuil. Le dernier champion du monde encore en vie du XXe siècle, Boris Spassky, est décédé le 27 février 2025 à Moscou à 88 ans. Après sa défaite en championnat du monde contre Fischer en 1972, il s’était installé à Meudon avec sa femme d’origine russe, Marina, en 1976.


Le sujet de 5 min de la 1re chaîne russe avec plein d’images d’archives


L’article du Figaro à partir de la dépêche AFP

La fiche Wikipedia en français

En plus précis, la fiche en anglais

L’article en russe sur RBK (page Sport) à 19 h 25 heure de Paris

Malgré sa défaite contre Bobby Fischer au championnat du monde en 1972, Boris Spassky était resté un dieu vivant en Union soviétique et auprès de ceux qui ne suivaient pas le récital officiel. Et bien sûr auprès des amateurs. Démonstration ? Champion d’URSS en 1973 avec sept victoires et une défaite.

A son retour de Reykjavik, il fut mis à l’index par sa fédération. Boom mondial. Merci Fischer et ses facéties, bravo la grande classe de Spassky qui applaudit au moins une victoire de Fischer sur la scène… et qui accepta de continuer malgré une défaite par forfait au début du match de Bobby ; une faute psychologique, mais le poids de la couronne était trop lourd à porter comme il s’en expliqua dans une interview à la télé britannique après le match.

Si Spassky fut sous les lumières, la télé américaine donnait parfois plus d’importance au match qu’aux aller-retour de Kissinger au Vietnam, le chemin de croix le fut aussi au retour au pays. Il participa à des tournois, mais Karpov le bloqua pour l’accession au titre en 1974.

La machine soviétique avait couvé un autre champion et Boris émigra en France en 1976. Une autre vie l’attendait à Meudon, ville tranquille et cossue de la région parisienne où de nombreux russes blancs avaient émigré dans les années vingt. Boris fréquenta leurs descendants en compagnie de son épouse française d’origine russe Marina.
Invité dans des tournois en Europe, membre de Solingen pour la Bundesliga, Spassky ne parlait pas encore français, ne fréquentait pas les joueurs français ni la FFE . Il ne jouera pour la France qu’en 1985… sans jamais parvenir à devenir champion de France ! Il jouait « avec les mains » comme il disait ; il n’avait plus rien à prouver. Il s’en était expliqué dans un entretien que j’avais mené chez lui, à Meudon, en 1984 (Europe Échecs n° 304). Son fils, né 1980, avait 4 ans et jouait au ballon dans le jardin.

Spassky s’était toutefois mis à l’informatique et particulièrement à l’indispensable ChessBase pour tous les professionnels. Un jour, il passe chez son importateur en France, Jean-Pierre Mercier.
« L’atelier » de ‘Jeep’ se situait au sous-sol de sa société dans le XIVe arrondissement de Paris. Une marche de l’escalier en bois était défectueuse et il fallait faire attention.

L’ex-champion du monde était un bricoleur, il vint avec un marteau… et répara la marche ! Il imitait à la perfection et ce n’était pas agréable pour ses cibles, Karpov, Botvinnik et d’autres sans le moindre remords.

Son sens du jeu ? Le talent certes, mais l’habitude des entraînements à la soviétique. A 10 ans, il mis moins de dix minutes à résoudre une étude très difficile. Lors d’une partie ajournée entre Armas (Belfort) et Kouatly (Lyon Oyonnax) en championnat de France par équipes, il dit à Armas : « Écoute, on va faire comme en URSS. Va dormir, j’analyse avec Bologane et Karpov et Chirov de leur côté » (tous jouant pour Belfort). Et Armas gagna.
Dans une autre partie, des mains de maître touchaient aux pièces pour prouver l’avantage blanc ou noir lors d’une partie ajournée. Avec sa moue typique en quelques secondes, Spassky dit : ‘draw’
(nulle). Un GMI français fit tourner l’ordi toute la nuit et le lendemain matin, au réveil, l’ordi indiquait 0,00.


Il y a mille anecdotes sur Spassky comme celle lors de sa visite au tournoi Aeroflot où il retrouva nombre de GMI russes tous admiratifs ou lors de sa rencontre avec Bronstein à Paris au restaurant Louchebem que j’avais organisée. Bronstein fêtait son 72e anniversaire (1996) avec son éditeur Tom Furstenberg, celui de L’Apprenti sorcier. J’avais demandé à Spassky de venir en visite surprise… mais il mit plus d’une heure à trouver le restaurant en plein quartier des Halles. Il fallut meubler avec Bronstein quoique questions anecdotes ce n’était pas difficile avec lui.

Nous étions au premier étage quand soudain Boris surgit. Bronstein eut un choc puis un second quand Boris lui offrit un petit livre qu’il avait acheté sur les quais.

La photo de nous quatre est dans le livre.

Après son AVC en 2010, bien sûr il ne fut plus le même ; la nostalgie russe était là et dans des circonstances dramatiques il fut kidnappé par une femme, l’ambassade de Russie fit tout le nécessaire pour qu’il puisse être transporté alors que très malade et paradoxalement comme le dit son fils Boris : « Il a terminé sa vie parmi ceux qu’il avait détestés toute sa vie de champion », à savoir les apparatchiks et zélés du régime. Son image fut utilisée par la fédération.

Boris Junior n’avait pas vu son père depuis 2014 et fut ensuite empêché de le voir par cette femme qui l’avait attiré dans un chausse-trappe. Lors d’une cérémonie à l’église orthodoxe russe du boulevard Exelmans le 7 mars à Paris, Boris Jr, raconte: « Un jour, après des problèmes de santé de mon père, j’ai reçu un coup de téléphone de Bobby Fischer. » Et Bobby Jr d’imiter l’accent très fort du Bobby. Il me disait de lui dire de ne pas se faire soigner à cause d’ondes qu’on pourrait lui implanter… »

Et puis, il nous apprend que la petite sœur de Boris, Iraida Spasskaya (1944-2025) est décédée le 25 février. Elle fut 4 fois championne du jeu de dames russes (sur 64 cases, même notation qu’aux échecs) et vice-championne du monde de dames 1974 (jeu international, 100 cases avec la notation contre intuitive Manoury).

Il était pour lui un père comme expliqué dans ChessBase en ligne. Et Boris le fut pour nous tous pour les 64 cases.


Simultanée de Spassky à Paris, année inconnue



Le fils de Boris a prêté, à l’occasion d’une exposition américaine sur le match de 1972, énormément d’objets ou de livres appartenant à son champion de père comme par exemple, sa coupe de champion du monde junior. Un entretien passionnant d’une heure.

Ci-dessous, Andruet-Spassky, le MI français (1958-1955, assassiné, voir les récits via la loupe avec son nom sur le blog) se fait placer un mat modèle avec les blancs en Bundesliga.


Gambit roi extraordinaire à Montpellier 1984, Spassky-Seirawan

Interview post match de 1972 (en anglais). Soulagé de ne plus porter une couronne aussi lourde.

Tal, couillu à la télé soviétique, défend Spassky mis à l’écart après 1972.

Une archive de la télé soviétique à la suite de son titre de champion du monde junior