Interview (presque) imaginaire de Pavel Tregoubov
Après 6 rondes sur les 13 que compte l’olympiade de Turin, Echecs64 s’est rendu en 2CV Turbo au cœur du village olympique. Mais un barrage de la police du blitz nous a obligé à faire un détour par Tignes, le centre d’entraînement de l’équipe de France de foot. En montant péniblement une cote à 16%, nous avons croisé le gardien de but Grégory Coupet au volant d’une vraie turbo cette fois, qui a failli nous faire valser dans les décors. Quinze minutes plus tard, il nous doublait à vive allure et réintégrait « le groupe ». C’est la magie du téléphone portable : siffler n’est pas jouer. Merci Greg.
Aux échecs, le « groupe » France n’a pas trouvé de Barthez ou de Coupet pour arrêter les buts. Le groupe se délecte dans les matches nuls. De préférence contre les équipes plus faibles et si possible en souffrant. De vrais épicuriens. À Calvia, les cinq premiers matches avaient été gagnés sans Lautier, Bacrot et Bauer avec une bande de jeunes qui se fendaient… mais au fait, avons-nous un groupe ? C’est ce que nous avons demandé au Russe résidant à Paris, Pavel Tregoubov, capitaine de l’équipe de France aux olympiades, un type charmant et très occupé.
Q.: Pavel, merci de nous accorder cette entrevue.
Pavel T.: Mais je ne vous ai rien demandé ! Je suis juste là pour vous dire ce que personne ne croit : que je suis un méchant garçon ! Je suis président de l’ACP, alors dépêchez-vous avec vos questions d’idiot utile. Vous ne m’avez encore rien demandé, mais je l’affirme : les nouvelles méthodes de la fédération sont fa-bu-leuses. Tout comme l’organisation. Par exemple, ils ont pensé au spectacle ici. Ils ont mis 5 ou 6 toilettes pour 500 personnes, c’est super pour les spectateurs : les joueurs doivent faire la queue pour uriner, les spectateurs ont ainsi plus de zeitnots. Il fallait y penser ! Les bornes Internet sont innombrables. Deux exactement. Elles sont squattées toute la journée par les joueurs du banc de touche. Il faut les voir jouer des 1-1 en blitz pendant 4 heures de suite. Ils ont vraiment l’air intelligent, c’est une excellente pub pour les échecs : enfin, nous sommes reconnus comme sport.
Q.: Justement, l’équipe est ravie de loger dans le village olympique d’hiver avec des chambres sans table et sans télé. C’est un vrai progrès !
P.T.: Absolument, et c’est bien fait pour eux. On les a mis deux par deux, c’est mieux pour les défilés. L’absence de télé va les doper. La dernière fois, ils devenaient dingues avec Loanna dans le Loft : c’est quand j’ai vu Fressinet arrêter le poker et Lautier rire toutes les cinq minutes comme s’il avait inhalé du gaz hilarant que je me suis dit, que si j’avais été capitaine, ça ne se serait pas passé comme ça. Cette observation a d’ailleurs été déterminante dans ma sélection pour le capitanat. D’ailleurs, j’ai oublié le nom des autres candidats. Vous vous en souvenez, vous ?
Q.: Non et aucune importance, vous êtes forcément le meilleur. Donc, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
P.T.: L’équipe fonctionne super bien sans Dorfman et Degraeve. J’ai appelé Raymond Domenech pour qu’il me conseille. Et vous savez ce qu’il m’a dit ? « Enlève un bloqueur et un buteur pour faire plus de matches nuls. Cela te mettra en danger et tu seras populaire. » C’est ça la transparence, vous voyez, cette info est exclusive, même Domenech ne l’a pas donnée à SFR ! Domenech m’a aussi dit qu’il fallait durcir les entraînements. En Corse, ils n’avaient pas pensé qu’il y avait trop de soleil et que certains joueurs en profiteraient lâchement. A Port-Marly, une semaine avant la compétition, ils ont vraiment pété un câble. Bauer a initié Vachier-Lagrave aux joies du ski nautique sur la Seine en lui faisant croire qu’ils allaient faire un tour en bateau-mouche. Le gamin est revenu mort de trouille et Bauer mort de rire. On a donc décidé de serrer les boulons à Turin. Vous savez combien je sais me remettre en question. Eh bien, sachez que n’ai fait aucune erreur de casting dans la composition d’équipe. Si on joue mal, et je vous livre un scoop…
Q.: Grand maître, grand maître, vite lequel ? (Sans aucune raison, ce grand modeste enlève sa chapka. Il lève ses yeux bleus au ciel et lance) :
P.T.:… c’est la faute des joueurs. Ils ont le temps de se préparer. Finita la commedia ! La Fédération a décidé de les dresser. Ils ont OBLIGATION de se coucher tôt, n’ont pas le droit de sortir. Nous avons même un diététicien à notre disposition, vous vous rendez compte, nous sommes une fédé adulte ! Ils mangent des pâtes à longueur de journée.
Q.: Mais comment s’appelle ce magicien ?
P.T.: Il s’appelle le Dr Barbier. Originaire de Châteauroux, les gars l’ont appelé ‘le Barbier de Turin’.
Q.: C’est vraiment malin ! Mais que leur donne-t-il à manger ?
P.T.: Ils se régalent avec des pâtes. Et en plus, nous sommes en Italie, un facteur supplémentaire de réussite. La FIDE a réussi un grand coup. Vive Kirsan !
Q.: Mais, que dites-vous, les élections ne sont pas jouées !
P.T.: Ah oui, excusez-moi, j’ai trop bu hier.
Q.: ???
P.T.: Oui, comme vous le savez, je suis au régime : du Clichy Saint-Yorre depuis des années. Conséquence, il m’arrive – mais c’est rare – de dire n’importe quoi. Et en tant que président de l’ACP, il faut que je fasse attention (nous sommes alors interrompus par son téléphone mobile ; cinq minutes de palabres en russe plus tard, Pavel raccroche, rouge comme un écrevisse en pleine crise d’adolescence). Ah, ils m’embêtent, moi ! J’ai plein de réunions, de gens à voir ici pour l’ACP. Mais je ne peux pas avec cette équipe de France qui veut être traitée comme l’équipe de Russie. Je me donne du mal, vous savez ! (il se ressert un verre de Clichy Saint-Yorre).
Q.: Revenons à nos boutons. Que mangent les joueurs à part des pâtes ?
P.T.: Des pâtes, des pâtes, oui, mais des… je vous laisse deviner la suite. Mais ce n’est pas la marque que vous croyez, car elles sont faites maison. En fait, ici, c’est un peu l’école Dorfman sans Dorfman. Au moins, nous aurons eu une victoire : celle des sucres lents. Quand je pense que l’équipe olympique d’URSS se déplaçait autrefois avec des pots entiers de caviar. Il est temps que la FFE trouve un nouveau sponsor.
Q.: Par exemple, Petrossian, le spécialiste du caviar ?
P.T.: Ah ! elle est bien bonne, celle-là !
Q.: C’est irrésistible, mais ça ne me fait pas rire. Tiens, en représailles, puis-je révéler à nos lecteurs que ‘Tregoubov’ veut dire « trois lèvres » en russe ?
P.T.: Négatif sinon je vous attaque pour droit à l’image. Mais laissez-moi vous donner un scoop à mon tour : quand j’ai vu la tournure de l’ambiance en équipe, j’ai immédiatement téléphoné au président de la Fédération. Vous le connaissez, il n’est absolument par susceptible et accepte toutes les critiques en rigolant. Eh bien ! Il était ravi des résultats ! D’ailleurs il est venu dare-dare à Turin. Personne ne le sait, mais il a volé des pastilles pour rire à Étienne Bacrot. Depuis, je le fais chanter et je lui ai demandé une promotion.
Q.: Mais c’est un procédé ignoble !
P.T.: Que voulez-vous, il faut me comprendre. Moi, mon ambition, c’était coupeur de citron au départ. Et puis, avec l’ACP, je suis très occupé. Jean-Claude voulait être capitaine. Mais ils se sont trompés dans les papiers administratifs lors du déménagement, et je me suis retrouvé capitaine. Comme Jicé est un fin politique aussi, il a demandé au docteur Barbier de Turin de prendre ses responsabilités. Ce dernier m’a immédiatement ordonné d’amener des chocolats aux joueurs pendant leur partie. Je m’en suis bien sorti, vous ne trouvez pas ?
Q.: Mais l’usage stupéfiant du chocolat est interdit par le règlement FIDE !
P.T.: Bien vu. C’est la raison pour laquelle, je les leur distribue quand ils font la queue pour aller aux toilettes. Cette méthode a un tel succès pour les équipes qui cherchent à tout prix les matches nuls que l’on me demande la marque employée.
Q.: Oh ! Pavel, je n’y tiens plus, moi qui cherche à faire un régime pour grossir, dites-moi tout.
P.T.: Keep secret secret. On ne me la fait pas ! On a inventé une formule pour ne faire que des matches nuls, vous ne croyez pas qu’on va la divulguer ainsi sur l’Internet en quelques clics.
Q.: Merci de toutes ces révélations, Pavel, et faites surtout attention de ne pas gagner de matches, vous risquez de passer en conseil de discipline.
P.T.: Je le sais. Le pire c’est que je risque un régime à base de pâtes. Trois ans ferme. Vous voyez, la dureté du régime ne s’applique pas qu’aux joueurs.
Trois lèvres et un bouton, donc.