Roger Ferry: 79 ans, 53 championnats de France
A 79 ans et demi, Roger Ferry, éternel sociétaire du club de Colombes a plusieurs élixirs de jouvence. Pau est son 53e cht de France.
Il joue toujours en imperméable. C’est un monstre de routine et de ponctualité. Pour Pau, le paiement de l’hôtel est fait « depuis des mois ». Tout est prévu dans sa vie. Tout ? Sauf les résultats sur l’échiquier bien sûr.
Arrivé 40 minutes en avance à la première ronde du championnat de Paris (CHIP) en juillet, je vois un seul homme assis sur l’une des dizaines de chaises en plastique : Monsieur Ferry.
La conversation amicale tourne au bal des souvenirs. Stylo dégainé, un prospectus se noircit. Objectif blog.
Derrière un monstre de routine se cachent des yeux malicieux, une fureur de gagner qui lui permit de faire nulle à l’Olympiade de Varna 1962 contre le jeune MI prometteur Vlastimil Hort (18 ans) et un humour à froid presque britannique. Cet homme d’un autre siècle envoie des fleurs à ses médecins. Il fait ‘t’ encore toutes les liaisons. Son ton est régulier, presque monocorde. Il ne parle pas fort, pour vous inviter à entrer sur son territoire.
Cliquez manège et vous goûterez la recette miracle d’un homme resté 51 ans, 8 mois et 10 jours sans chômage, vous apprécierez le modèle d’un travailleur parti en retraite à 70 ans et 2 mois et admirerez l’assiduité d’un licencié qui participe à son 53e cht de France. Sans interruption, cela va de soi.
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Le style, c’est l’homme
Pour tous ceux qui ont vu les parties de Roger Ferry ou l’ont affronté, ce n’est pas un client facile. Certes, son style est passif, mais c’est un faux-semblant. Il joue fort ses petits systèmes et ruse les jeunes dans la transition milieu de jeu-finale pour les « raser » en fin de partie.
Pour les grands anciens, Roger Ferry était un jeune homme élégant, costumé et cravaté. Il disputait tous les championnats de France accompagné de ses parents. Aujourd’hui, il est ce vétéran redoutable sur l’échiquier qui refusera jusqu’au bout de jouer un tournoi… de vétérans. Et il joue toutes ses parties à fond.
Roger Ferry en bleu… mais pas un bleu !
En 1986 ou 1987, je descends la rue du Chemin Vert, à Paris, proche de mon domicile. C’était l’heure du déjeuner et dans la rue, je tombe sur Roger Ferry… en bleu de travail ! Quel étonnement ! Comme tout joueur d’échecs, j’associai RF à « imperméable ». Faute. Monsieur Ferry est un professionnel émérite des rivets et œillets métalliques, une spécialité française datant de plusieurs siècles.
M. Ferry a travaillé au 125, rue du Chemin Vert du 12 novembre 1974 jusqu’au 31 janvier 2003 (chez le distributeur d’œillets métalliques ‘Darrigol et Gagnez’), année où il prit sa retraite, à « 70 ans et 2 mois ».
D’un ton égal et badin, M. Ferry égrène les dates, les chiffres, les lieux, les noms. « Vous savez, c’est un milieu qui n’a pratiquement pas été touché par la crise et cela continuera. » Avis aux apprentis. Ajoutez que vous connaissez M. Ferry, cela pourrait aider ?
L’œil du maître
L’anecdote de cette rencontre fortuite en entraîna une autre qui me surprit presque autant. Nous sommes la veille du cht de France de Val Thorens 1988. Dans le bus nous menant de la gare à là-haut sur la montagne, j’engageai la conversation avec M. Ferry. Il eut soudain un sourire malicieux et posa le doigt sur le corsage de ma copine afin de vérifier si c’était un œillet. C’était une broche.
RF nous expliqua alors qu’il était un professionnel… des œillets ! 1-0 pour le maître. J’avais complètement oublié que c’était le cas et nous eûmes droit à un cours sur son métier d’alors. M. Ferry avait 57 ans.
Centenaire ?
Si Roger Ferry parle volontiers du passé comme si c’était hier, il regarde l’avenir : « Dans 20 ans, 1 mois et 1 jour, je serai centenaire ; le reste sera du “ backchiche ˝ [il veut dire du supplément].
Religion
« Je suis catholique traditionaliste, je vais tous les dimanches à la messe à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. J’aimerais aller au paradis… ah non ! en enfer. Avec le diable, j’aurai plus chaud. » Farceur ?
Chronomètre
« Tout est chronométré chez moi. J’ai par exemple réservé depuis des mois mon hôtel pour le championnat de France de Pau. Et j’ai tout payé d’avance, comme ça, je suis tranquille. »
Mémoire flash: je me souviens alors que M. Ferry suit depuis des années le résultat de l’équipe au football de Nice. Tout est consigné dans des cahiers. Il confirme n’acheter L’Équipe qu’une fois par an afin de remplir toute la grille de résultats.
Après avoir joué son 3.Ff4 fétiche dans l’ouverture, le jeu semble terne, mais en échangeant ses mauvaises pièces et par quelques coups précis, Roger Ferry monte une attaque décisive aggravée par une gaffe de son adversaire.
Ferry-Marina Costagliola, Cht de Paris 2004.
1.Fxg6! Cd5? 2.Fxf7+! et le mat suit.
Les invitations pleuvent…
« Touzé est le seul organisateur à m’avoir invité au championnat de France de Belfort, en 2010. J’étais invité avec Boutteville. »
Parcours sportif
« Mon premier championnat de France s’est déroulé à Reims, en 1959. En 1960, il n’y a pas eu de championnat. De 1961 à 1988, j’ai fait le National. Ensuite l’Accession classique et maintenant l’open A. Ce que je préfère, c’est la marche. »
Pour ceux qui se posent des questions sur la progression et l’âge, M. Ferry avait plus de 2300 Elo à 56 ans…
4 Reines dansent autour de lui
« Je vois régulièrement mes quatre amies globe-trotteuses ; l’une d’elles a 47 ans, c’est une joueuse d’échecs sans club. » M. Ferry n’a jamais été marié.
Deux pages sur ‘Dugenou cochon d’Inde’
« Je ne lis jamais de revue, mais la dernière fois que j’ai feuilleté Europe Échecs, on ne voit plus d’articles sur des anciens champions français. On voit deux pages sur ‘Dugenou cochon d’Inde’ ou sur un champion du Kazakhstan. »
L’art du zeitnot
« Je me souviens, il y a très longtemps, Michel Roethel qui était un crack en blitz, m’avait expliqué comment il fallait jouer en zeitnot : comme un funambule, il faut maintenir l’équilibre. »
J’ai froid
« Oui, vous connaissez ce livre, à la page 50 avec la fameuse photo où je joue contre Grizou au championnat de France d’Alès (1984). Grizou est torse nu et j’ai mon imperméable. Catherine Jaeg m’en avait fait cadeau [compagne d’alors du GMI Olivier Renet et photographe de joueurs d’échecs]. » Cf. ‘Passion en noir et blanc’, un livre rare de nos jours.
Boutteville et les blitz
« C’est à c’te heure-là k’les z’enfants dorment ? » avait dit Seneca à propos de Boutteville dans un championnat de France.
Le croissant de Tarta
« Café des Variétés, boulevard Montmartre, vous vous souvenez de Mme Le Bey Taillis ? Tarta venait y prendre son croissant café crème. [Oops; pas connue. Avais moins de dix ans quand cette matronne des échecs parisiens est décédée].
Tcherbakov [russe blanc et blitzeur invétéré] disait aussi « c’est du billard » quand il rencontrait un joueur faible.
Grande grève de 1995
« Je venais à pied de Colombes au Père Lachaise [soit plus de 15 km, le 125 rue du Chemin Vert étant tout proche de l’entrée principale du cimetière du Père-Lachaise].
A mon rythme, je vous rassure. Je mettais un peu plus de trois heures. Un voisin m’a proposé de l’emmener en voiture, mais j’ai refusé. »
Rappel : Cette grève de plus de trois semaines en plein hiver paralysa entre autres les transports en commun. On allait tout aussi vite à pied qu’en voiture pour se rendre au travail. Paris et la région parisienne entre autres étaient paralysées par les bouchons.
Couper la chique au CHIP
« Ce que je déplore – pour employer des mots gentils – c’est qu’on ne parle pas de ce championnat de Paris sur FR3, dans Le Parisien ou les journaux gratuits. La presse s’occupe des 10 % de choses qui ne marchent pas. »
Où est l’air du ‘revenez-y’ ?
« Ces trois dernières années, ce que j’ai vu au championnat de France, c’est que les gens connaissent vraiment les ouvertures ; mais je trouve qu’il y a du « déchet » d’une année sur l’autre depuis 2009. Les gens ne reviennent pas. J’admets que les lieux changent et que les distances peuvent paraître trop lointaines pour certains, mais tout de même. »
Pendules en route!
La ronde va démarrer. DD Clauzel annonce son retrait de la présidence de la ligue d’Île-de-France. On l’entend à peine car le micro résonne. La ronde démarre. Roger Ferry entame son énième championnat de Paris. Bientôt le championnat de France avant la reprise de la saison et de ses matches par équipes pour Colombes. Prévus à l’avance et consignés sur un carnet.
Incroyable !
Ce blog est lu attentivement par l’équipe fédérale, qui a rectifié dans la nuit “l’apprêté” et le deuxième “Edouard Romain”, mais pas le premier, que je n’avais pas cité !
Cette phrase demeure : “Maxime Vachier-Lagrave et Etienne Bacrot ont été rejoints par Laurent Fressinet et Edouard Romain.”
Je ne connais pas le nom du préposé au bulletin quotidien sévissant actuellement sur le site fédéral.
Il s’est surpassé aujourd’hui :
“Les deux autres résultats décisifs sont à mettre à l’actif d’Edouard Romain qui l’emporte sur Maxime Lagarde, et d’Andreï Istratescu face à Sébastien Mazé.”
Romain Edouard est nommé plusieurs fois Edouard Romain…
“La climatisation du Palais Beaumont aide à économiser les forces pendant les parties, loin de la canicule soufferte en 2009, et à mieux se concentrer sur l’apprêté des combats. La nouvelle réglementation aidant, la valse de points décisifs est interminable… et passionnante à suivre pour les spectateurs !”
L’âpreté de cette prose est difficile à supporter, ainsi que l’auto-justification du nouveau règlement du championnat, débile à souhait autant qu’attentatoire à la dignité et à l’intelligence des joueurs.
Roger Ferry, UN CAS unique das le monde des échecs en France tant au niveau du personnage qu’à celui de son style de jeu. C’est un gentil qui ne manquait jamais de me transmettre les nouvelles de son cercle et de ses tournois à l’époque de ma chronique.
Je me souviens d’une photo prise en 1959, au championnat de France à Reims au sortir de la salle de jeux. J’y suis avec à ma gauche, Eugène Guémard (Bordeaux) à ma droite, Roger Ferry et Jean-Marie Jeanton-Lamarche (speaker à Radio-Limoges). C’était son premier championnat de France. Je garde un bon souvenir de lui.
Bravo pour votre blog. J’ai eu le plaisir de fréquenter un peu M. Ferry, un homme charmant, très cultivé et d’une mémoire étonnante.
On lui souhaite de nombreux chamionnats de France encore.
P WABANT
Evidemment Christophe , on aime montrer Roger Ferry, avec imper et cache-nez par une chaleur accablante, comme tu le rappelles, voisinant avec des joueurs quasiment à poil. Mais ce que peu de gens savent, c’est que l’on pouvait rencontrer Roger, en plein hiver, accoutré d’un simple veston (!), le seul qui ne soit pas en manteau, comme cela m’est arrivé à la gare Saint-Lazare.