André Muffang, grand champion, vente historique

L’odeur des archives. Parmi les cartons où dorment depuis plus de dix ans quelques livres d’échecs, j’ai retrouvé un bijou. Un truc que je croyais de seconde importance. Un truc que l’on relègue au fond d’un carton de bouteille lors des choix cruels au moment d’une réinstallation parce qu’Ikea vous livre des bibliothèques de moins de trois mètres de haut. Il s’agit du catalogue de la vente Muffang ; André Muffang. Premier maître international français avant Aldo Haïk (et non GMI avant Kouatly comme je l’ai écrit ici par erreur). Seul Français, en dehors d’Alekhine, à avoir battu Capablanca en ‘quick play’, çàd en parties rapides.

 

Ce catalogue compte tous ce que ses héritiers ont désiré céder lors d’une mémorable vente en enchères en 1989, à l’hôtel des ventes, à Drouot. C’est là que j’ai vu pour la première fois le docteur Jean Mennerat, le plus grand collectionneur de livres d’échecs de France. L’un des plus grands du monde. C’est là que s’est vendu un exemplaire du Lucena, l’un des plus vieux manuscrits d’échecs acquis 400 000 francs par un acheteur anonyme.

Drôle d’atmosphère. Fascinante. J’avais acheté quelques livres en allemand, langue peu prisée, livres rares. Le grand collectionneur Lothar Schmid (arbitre de Fischer-Spassky, 1972) était là. Les prix s’envolaient.

Quelques mois auparavant, j’avais eu la chance de rencontrer M. Muffang. Comme tout le monde, je le croyais mort. Mais un copain à moi, par un de ces hasards abracabrantesques, connaissait bien sa petite-fille, Mathilde. Quand j’ai bu un pot avec elle, mon pote était indisponible.

Il m’avait mal épelé le nom de ce « super grand maître ». Pour en avoir le cœur net, j’y étais allé par curiosité. Pour la jeune femme aussi, évidemment. Mais quand elle a décliné l’identité de son grand-père, je suis tombé à la renverse. Elle ne mesurait pas l’étendue du talent énorme de son grand-père. Moi non plus d’ailleurs. Quelques jours plus tard, je suis allé rendre visite à celui que Mme Chaudé appelait “maître Muffang”. Veuf, M. Muffang vivait dans une résidence médicalisée où il avait ses appartements, rue Thibouméry, dans le XVe arrondissement de Paris.

J’ai alors compris. Quasi aveugle, il était parvenu à résoudre a tempo une combinaison monstrueuse que Manuel Apicella venait de placer avec les noirs dans le championnat de Paris.

La suite ? L’interview de maître Muffang et le détail de cette rencontre inouïe se trouvent dans L’Almanach des échecs 1988, un bouquin publié chez Payot, coécrit avec Jeep [Jean-Pierre Mercier] et qu’on ne trouve presque plus. J’avais fait parvenir l’interview à M. Muffang avant la publication du livre. Il l’avait amendée en quelque sorte. Et quand le livre a paru, je lui ai envoyé un exemplaire. Son fils m’a répondu par un coup de fil : son père était décédé entretemps.

Quelques mois plus tard, la collection Muffang s’est vendue à Drouot. Très cher. André Muffang était un grand collectionneur. Il avait également eu des responsabilités au sein de la FIDE. Il était un grand ami de Mme Chaudé, du club Caïssa. Il avait des archives. Le fils de M. Muffang me les a confiées pour que je les donne à la fédération. J’ai donc appelé Jean-Claude Loubatière, alors président de la Fédération, avec qui je n’entretenais pas spécialement de bons rapports à l’époque. Je revois encore M. Loubatière arriver au siège de Libération lors de l’un de ses passages à Paris. Malgré nos désaccords, quelque chose s’était passé entre nous grâce à cette vieille paperasse, du temps où le français était vraiment l’une des langues officielles de la FIDE.

Pour finir, j’aime bien ce catalogue. Cet oiseau est élégant. Et il contient une grande partie de l’histoire des échecs.